Notre collègue-amie Lorette Cordrie-Champelovier est décédée le 31 janvier 2023 d’un cancer. Membre adhérent, elle avait rejoint la SPF il y a une dizaine d’années alors qu’elle s’installait dans les Monts ardéchois pour une pratique rurale après celle engagée à Paris.
S’étant formée auprès d’analystes d’Espace analytique, elle avait témoigné de l’accompagnement d’une enfant autiste sur plusieurs années. Elle y avait déployé une créativité qui ne manquait pas d’attention au cadre, même si l’invention dans la rencontre y était première. Comme analyste, elle privilégiait l’écoute sur la doctrine, saisissant les mouvements de l’inconscient et ses effets d’après coup avec une capacité d’aller-retour de la pensée et de l’écriture. Elle a toujours participé à nos groupes de travail et séminaires entre Montélimar, Marseille et Paris ainsi qu’à la préparation des Journées des affiliés de 2015 et 2018. Nous avons pendant plusieurs années travaillé des textes de Ferenczi, Winnicott, Green… et parlé clinique à partir de nos pratiques sans craindre de nous exposer, ce que nos transferts de travail rendaient possible. Lorette a su ajuster sa propre pratique aux demandes qui lui étaient adressées sur un territoire non familier a priori à la psychanalyse. Ensemble, nous avons aussi préparé des rencontres-débats avec des collègues auteurs invités. Descendant de sa montagne et ne ratant aucun colloque de la SPF, elle a su insuffler dans nos activités en région son énergie motrice.
Comédienne professionnelle au début des années 70, metteure en scène et écrivaine, sa fibre engagée dans la lutte sociale et l’éducation populaire lui fit rencontrer Augusto Boal, fondateur du Théâtre de l’Opprimé, avec qui elle travailla quelques années avant de diriger successivement deux compagnies de Théâtres-Forum jusqu’en 2013. Cette même année, soucieuse de transmission, elle publia 10 théâtres-forums. Éducation à la santé et au vivre ensemble (éditions Chronique Sociale), un bel outil à l’adresse des travailleurs sociaux. Les « spectacles-forums » qu’elle a écrits pour ouvrir le débat avec le public abordent des situations complexes d’addictions, sexualité, violences, parentalité…. On y trouve déjà sa capacité à saisir les conflits psychiques inconscients et à leur donner une forme subjectivée. Une longue et riche expérience de trente ans, du corps, du verbe et de l’altérité qui a contribué à son devenir de clinicienne depuis l’espace scénique à celui de la cure, des scènes vécues ou à vivre, penser et jouer – playing, donner l’espace à la parole, à la créativité.
Lorette était dans la vie. Elle avait la patience des tricoteuses qui montent l’ouvrage en ses milliers de points pour la sérénité et la chaude douceur enveloppante. Elle avait aussi le pas terrien, au rythme et au souffle lents, de la praticienne de tai-chi-chuan qu’elle était.
Lorsque la maladie s’est précipitée sur elle, elle a tenu bon, s’efforçant de rester debout face à la machine qui tentait de faire d’elle une malade de plus, exigeant obstinément d’être considérée comme un sujet à part entière.
Sa place restera vide longtemps, mais de cette amitié de travail comme il y en a guère, nous gardons la mémoire de sa présence et suivrons les traces sur les pistes par elle ouvertes.
Catherine Fourgeaud, Isabelle Pibarot, Patricia Rossi